Un nouveau souffle

 

C’est un signe qui ne trompe personne. La résurgence d’une forme de rap militant et à contre-courant d’une élite politique régnante est en effet un signe que quelque chose semblable à une (re)prise de conscience gagne à nouveau les rangs des artistes gabonais : retour aux fondamentaux et engagement aux côtés de la plèbe. Tels sont ses principaux leitmotiv.

La donne est valable aussi bien pour les chanteurs, les écrivains notamment dont on a pu constater une prise de position sans ambiguïté là où certains s’étaient murés dans le silence ou dans l’emploi d’un langage détourné pour contourner la censure. C’est le contexte sociopolitique qui le veut. C’est lui qui dicte la tendance. Et cela restera peut-être ainsi désormais : les cris du peuple sont incompatibles avec les pâles copies de P-Square dans le contexte gabonais. C’est ce qui semble caractériser les prises de position de certains rappeurs tels que O-Mwana et Krugah (Le Faussaire), Bazard TsirObiangBzah (2 all our fallen soldjaz), Movaizhaleine (Haut les mains, Rouges nuages), Bak Attak (Ras la gueule), Essamkwass (Tourner la page) ou encore Kôba (Odjuku) pour ne citer que ces derniers. Ainsi, la scène artistique gabonaise et celle du rap en particulier se reconfigure de nouveau. Après donc une période de latence et mêlée de ce que certains ont ironiquement nommé le kounabélisme (sic), certains rappeurs, jusqu’ici discrets, timides et ancrés dans une culture de l’underground, ces rappeurs refont surface ou pointent le bout de leur nez. Retour aux fondamentaux vous avez dit ? C’est ce que propose celui qu’il faudra désormais appeler le « MC Culotte babouches » ainsi qu’il a bien voulu nommer son premier album. Mc Essone ou encore Jamal Thafunk (puisqu’il s’agit de lui) fait partie de ceux-là qui redonnent un nouvel élan au rap gabonais englué dans les compromis et les compromissions.

 

Authenticité et rupture

 

L’album est authentique d’abord par son titre qui se veut un enracinement dans un quotidien modeste, sans la mythologie du bling-bling que certains veulent faire croire dans leurs textes et leurs clips vidéo. Mais cette authenticité c’est aussi l’entourage qui a contribué à cet album notamment Sima Ndong (Ken Kiz) qu’on appellerait volontiers un vieux de la vieille. Lui qui a valablement fait respecter son droit d’aînesse rapologique sur le titre « De 88 à 89 ». Ce titre qui fait l ‘éloge du rap underground des années 1980, de la mouvance hip hop (graf, breakdance, djing) et surtout la figure du MC. Le clip est d’ailleurs accessible sur Youtube.

L’authenticité c’est encore le choix des instrumentaux : épurés, dominés par le boom bap où se mêlent des samples de soul étasunienne ou des clins d’œil à Maman Dédé, ou à Siya Po’ossi X. Cette symbiose musicale est essentiellement à mettre au crédit d’Ameha Kossi qui réalise l’essentiel de l’album.

Mais cette authenticité n’est pas que dans les sonorités qui nous font renouer nostalgiquement avec une ambiance d’une certaine époque. Elle est aussi, cette authenticité, dans le choix de thèmes exprimés dans une langue mêlant crudité et poésie acerbe et un phrasé sincère: le quotidien d’une jeunesse dont le quotidien est un choix cornélien perpétuel entre les compromissions et la vertu ; les revendications syndicales, la liberté de parole ou encore la peinture des bidonvilles librevillois. Tels sont les thèmes qu’abordent les titres Le Bookan, Conasysed, L’Underground parle, Au cœur du quat’. Le rap est ainsi ramené à sa vocation pionnière : faire de la musique sans jamais dissocier le fond et la forme ou pour reprendre les propos de quelqu’un, faire de la musique pour un éveil communautaire. Mais loin de se cantonner dans un rôle de donneur de leçon ou de jeune coléreux pessimiste, Mc Essone laisse aussi dans son album une place à la joie de vivre. C’est ce que traduisent les titres Celebrate, Ma meilleure amie, ou Letha qui invitent à apprécier la vie, et qui louent les valeurs de l’amitié et de l’amour.

 

Collaborations

 

Si cet album est authentique c’est aussi à cause des différentes figures connues ou pas qui épaulent Mc Essone. En dehors de Ken Kiz, NGT, Ameha Kossi ou encore Mba Bekui sont les différents soutiens qui donnent à l’album son ancrage dans une certaine tradition du rap « à l’ancienne ». Mais les voix d’Ingrid et de Svetlana (voir Celebrate part I&II) apportent à l’album son parfum de sensualité et de bonne humeur. Autant dire que cet astucieux mélange fait de cet album une œuvre plus potable que l’eau rare de la SEEG, voire une œuvre de salubrité publique, qui fait du bien au rap gabonais actuel qui se cherche un nouveau souffle. Pour sa part, bien que son écriture gagnerait à s’affiner, Mc Essone et un artiste prometteur et sa venue dans le milieu est bouffée d’oxygène pour le rap gabonais.

 

Futur prometteur

 

Les premiers albums de rappeurs sont traditionnellement et pour une large majorité à tendance « consciente ». Puis, progressivement, au fil des albums, et le succès aidant, les rappeurs ont tendance à s’ouvrir à d’autres projets musicaux débridés, pour finir dans une forme de variété qui ne dit pas son nom, cédant ainsi aux sirènes de l’argent et des paillets. Aperçu encore récemment sur la même scène que Pamela Badjogo, finaliste 2016 du prestigieux prix RFI, Mc Essone semble monter en puissance et nous espérons qu’il échappera à cette logique. Nous avons déjà hâte d’écouter son prochain album et de savoir et de l’orientation qu’il impulsera à sa jeune carrière. Pour l’heure, et vous l’avez sans doute compris, nous recommandons vivement cet album.


                                                                                                                                                                                                                                       BOUNGUILI Le Presque Grand

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