Ce qui est indéniable pour les prochaines années, c’est que la littérature gabonaise aura désormais droit au chapitre plus qu’hier, dans l’édification de la société gabonaise. Voici une génération dont on perçoit un fourmillement d’idées, une débauche d’énergie et surtout une audace créatrice. Pour cette chronique, j’ai choisi de parler de littérature. La littérature gabonaise.
A travers quatre œuvres de quatre femmes qui sont aujourd’hui une part importante du visage littéraire gabonais au féminin. Le climat politique et social du Gabon est actuellement délétère mais contrairement aux apparences, cette situation n’altère pas le génie gabonais. Et c’est la leçon essentielle que j’ai apprise en découvrant Nadia Origo, Muetse Destinée Mboga Owali Antsia et Edna Merey-Apinda,.
Nadia Origo, écrire, éditer, militer
La première est à la fois écrivaine et éditrice. Docteure en géographie, Nadia Origo est la fondatrice de La Doxa Éditions, maison d’édition basée en France. Elle est également auteure de romans tels que J’ai résolu de… (Acoria, 2008), Le Bal des débutants (La Doxa, 2012) et de poésies (Sanglotites équatoriales, La Doxa, 2014). Je n’ai pas encore lu une de ses œuvres – ce qui ne saurait tarder – mais on peut déjà saluer l’audace qui caractérise sa volonté d’entreprendre et de donner visibilité à la littérature gabonaise. A travers notamment les salons littéraires qu’elle sillonne chaque année. Mais le plus louable est d’avoir publié des jeunes auteurs dont les plus emblématiques sont Peter Stephen Assaghle (Dites au roi d’aller au diable, 2016), Bénicien Bouchedy (Silences de la contestation, 2016) pour ne citer qu’eux. Ces auteurs côtoient des auteurs confirmés tels Hallnault Engouang (Les Veuves, 2013), Bellarmin Moutsinga (Mots d’exil, 2014) ou encore Amoan Pambo (Bourgeons, 2014). La ferveur et les accents révoltés de ces œuvres sont en phase avec la ligne éditoriale de Nadia Origo qui se définit comme « Éditeur militant ». En faisant de l’écriture engagée un de ses crédos, Nadia Origo ne pouvait que publier l’œuvre Une Ame aux enchères de Muetse Destinée Mboga.
Muetse Destinée Mboga, en croisade contre les sectes
Muetse Destinée est puissante pour l’audace qu’elle prend dans cette œuvre sans complaisance qui a pour protagonistes Paulette et Jocelyne Ingueza ci-devant mère et fille, ainsi que le sieur Antoine Oboumi. Ce trio infernal mené de main de maître par la première citée incarne ce qu’il y a de plus répulsif dans la société gabonaise. Si bien que parce que c’est un roman, parce que les scènes et actes des personnages dépassent de très loin la logique de la morale, pour toutes ces raisons, l’œuvre paraitrait IN-VRAI-SEMB-BLA-BLE pour un lecteur peu averti : meurtre de nourrisson, consommation de sang humain, inceste consenti ou accidentel, échangisme, sexualité fétichiste, tel est le cocktail de ce roman de l’étrange et du déraisonnable. Est-il possible qu’une femme entretienne des rapports sexuels avec son beau-fils pour des motifs pécuniaires ? Est-il possible qu’un homme s’accouple à la fois avec sa femme, sa fille, sa propre mère, sa belle-mère et même son fils ? Le tout sans être habité du remords ?! Toutes ces questions jaillissent légitimement à la lecture de Une Ame aux enchères. On serait tenter de dire : « Bof ce n’est que de la fiction ». Mais ce serait méconnaitre le contexte gabonais où l’appartenance à un cercle vicieux est érigée en norme d’ascension sociale. Un contexte où la morale et nos vertus ancestrales sont piétinées. Ce contexte dans lequel l’éthique du prochain n’est pas un mode de compréhension et de gestion de la vie en commun. Une Ame aux enchères est une œuvre qui met à nu le microcosme politique dans tout ce qu’il a de plus vénal et de plus déshumanisant. Tous poussés par la cupidité, la quête du pouvoir politique et l’ascendance psychologique, Paulette, Jocelyne et Antoine repoussent toutes les barrières et les normes sociales. Par ailleurs, et c’est peut-être là aussi le plus important, l’auteure nous délivre des plaintes des premières heures de la littérature gabonaise qui érigeaient le personnage féminin en victime de son alter ego masculin qui lui faisait subir fatalement – en bon bourreau de son état – les lois caduques de la tradition. Ici, on sort de ce schéma manichéen : c’est la femme elle-même qui se vautre dans la luxure et qui est prête à vouer sa propre fille aux forces obscures pour satisfaire son goût du lucre. Le roman est sans concession, impitoyable et le narrateur est parfois partial si bien qu’il inflige à ses personnages l’implacable justice divine qui finit tôt ou tard par s’appliquer à tous. Cette justice indifférente devant la richesse ou la pauvreté et qui s’abat irrémédiablement sur ceux qui croient utiles de courir après les biens matériels. La seule note d’espoir de cette œuvre c’est peut-être le fait que Jocelyne et Antoine c’est aussi et avant tout l’histoire d’une romance. Mais une romance qui a mal tourné.
Owali Antsia, l’écriture décomplexée
Mais ceux qui veulent lire une véritable romance devraient se procurer Eding. Le fruit défendu. Paru en autoédition, ce roman est l’œuvre de la très discrète et cachotière écrivaine gabonaise qui a pour pseudonyme Owali Antsia. Ce roman s’articule autour de Dominique. Dominique est le portrait typique de la femme africaine actuelle dans tout ce qu’il y a de plus afropolitain : instruite, rêveuse, citadine, altière, pimpante et pétillante, un tantinet rebelle. Ne se prenant pas pour zéro, elle est capable de vous accueillir avec une de ses formules aussi insolentes que dédaigneuses : « je pourrais savoir pourquoi vous êtes habillé comme si vous alliez au marché ? » Dominique Abada est la fille d’un avocat. La jeune femme rêve de devenir une star de la télévision toute chose que son père ne considère pas comme « un vrai métier ». Par ailleurs, ses parents comme sa grand-mère s’impatientent de la voir se caser et d’assurer et évidemment la pérennité de la lignée. Mais Dominique alias Lady Domi ne l’entend pas de cette oreille. Elle croque la vie comme elle croque les hommes, assurée de son corps aux courbes qui ne laissent aucun homme indifférent. Tout se passe ainsi jusqu’au jour où Domi rencontre Benoît Bekolo haut gradé rattaché au palais d’Etoudi (la Présidence du Cameroun). La relation est informelle car Benoît est déjà marié. Mais Benoît est conscient de l’infertilité de son couple qui de ce fait vacille. Mais alors qu’il songe à rompre avec son épouse, il se ravise au dernier moment et est tenté de mettre fin à sa relation avec Domi. Cette dernière finira-t-elle seule ? Acceptera-t-elle de se laisser jeter après avoir été portée au pinacle de ses sentiments ? Quel sera l’impact de l’apparition du personnage d’Andy, ce dandy au corps d’Apollon et au prénom presque prémonitoire? A travers les épanchements et les ébats des personnages, on découvre une œuvre décloisonnée, décomplexée et un tantinet sexuelle et on aime ça. Le genre de roman qui vient vous rappeler que les Africaines aussi aiment faire l’amour, elles aiment qu’on les chouchoute au point de les appeler « nounours », elles boivent, scrutent les hommes, en parlent avec délectation, en somme elles expriment leurs désirs sans complexe aucun. On sillonne par ailleurs l’Afrique (Gabon, Cameroun, Sao Tomé) ce qui donne à l’œuvre cette mobilité interne qui a lieu en Afrique et dont on ne mesure pas toujours la portée.
Edna Merey-Apinda et la question de la monoparentalité
Si Lady Domi se demande si elle sera condamnée à finir seule, ce n’est pas le cas des personnages d’Edna Merey-Apinda. Dans son recueil de nouvelles Ce soir, je fermerai la porte, Edna épate par son style d’écriture mature, une narration maîtrisée et des chutes toujours exquises. Par moment, on croirait lire Bessora. Les sept nouvelles du recueil explorent la relation mère-fille dans un contexte de famille monoparentale. La figure de la femme qui élève seule ses enfants est récurrentes. Edna s’amuse à camper cette femme qui s’en prend à ses enfants en leur faisant porter la responsabilité de ses amours ratées et de sa vie âpre ou de son parcours chaotique. Et parfois avec des mots durs. Ainsi peut-on entendre une mère profiter de la colère pour vider son sac : « Je n’ai jamais voulu de toi !» Avec une dérision féroce, Edna pointe du doigt ces femmes qui se cachent derrière les faux semblants et s’adossent à un avenir qui était promis radieux n’eût été la venue au monde de tel ou tel enfant. Ce refus du larmoiement est en soi en écho à ce qu’on retrouve chez Muetse Destinée Mboga sur ce statut de la femme redéfini, revu et corrigé. Pour Edna, il s’agit foncièrement de rompre avec cette attitude victimaire. Elle en appelle à une femme forte voire puissante celle qui porte les grossesses, va aux champs, tient le foyer conjugal de main de maître et ne s’apitoie guère sur son sort. Mais si les femmes élèvent seules leurs enfants, c’est aussi parce que certains hommes, pour décider de se fixer doivent être tenus par le collet sinon ils prennent la clé des champs. Prétextant souvent une mère ou une famille qui ne serait pas en accord avec leurs choix. Cette lâche hypocrisie est aussi croquée par Edna. D’ailleurs, dans la nouvelle « Un Chemin tortueux », on peut lire : « Les hommes d’avant avaient plus de respect pour les femmes. Aujourd’hui, ils te font des enfants et disparaissent dans la nature ». Edna soulève aussi la dérangeante question des préjugés qui ont la dent dure. Préjugés qui servent de prétexte pour ne pas valider certaines unions interethniques. On peut lire par exemple qu’au-delà de la pauvreté, une dame est rejetée par la famille de son compagnon parce qu’elle « avait le tort de venir d’une ethnie que la rumeur, à l’époque, disait anthropophage. » Dans ce contexte, les enfants, pris en otage par une mère qui refuse d’avancer et qui continue de rêver avec des « si », dans ce contexte, les filles se rebellent et certaines histoires se terminent dans le grand fracas.
En commençant cette rubrique, je vous ai parlé du doctorat de Nadia Origo. Tout en poursuivant, je me suis dit que s’il fallait faire à chaque fois étalage du cursus scolaire de chacune de ces quatre femmes puissantes, on n’en finirait pas. On pourrait par exemple parler de l’activisme culturel que mène Edna à Port-Gentil. Mais ça mérite là aussi une attention plus large qu’un simple paragraphe dans une chronique. Disons simplement que ce sont toutes des têtes bien faites et bien pleines qui continueront sans doute à nous enchanter avec leurs plumes. Pour la saison sèche, je vous recommande de lire ces quatre femmes puissantes.
BOUNGUILI Le Presque Grand