Dans cette énième lettre d’automne, il y a deux convictions. Les plus fortes et les plus sincères. On continue de mésuser nos lois au seul bénéfice d’un seul individu. Toi, il paraît que tu as outragé le p… de la R… Mais que dit la loi des outrages subis par le peuple? La constitution mésusée, le peuple médusé, abusé, désabusé. Les juges déjugés et la mère des lois entre les mains obscures de la belle-mère du roi. Où nous conduit cet aveuglement ?
Ceux qui se pavanent ici dehors, s’estiment libres. Chose marrante. Le rappeur avait raison : « Nous faire peur? Quoi la prison? De toute façon on y est déjà » (Buju Lynx). On ne le dira jamais assez : il n’y a pas ceux-là qui peuvent subir les arrestations arbitraires et ceux qui peuvent se promener avec la mémoire oublieuse du sort de leurs compatriotes. Et donc ta prison est aussi la nôtre avec notre semblant de liberté.
Dans cette ripoux-blique la préoccupation, que dis-je la nouveauté c’est la constitution, ce document qui dicte l’essence de notre République et qui est aujourd’hui réduit à un paillasson ou à un vêtement héréditaire jamais suffisamment large pour le successeur. Ce dernier, toujours à se goinfrer tel un pourceau immonde ne cesse d’enfler ubuesquement.
Et donc cette constitution, ce machin, on l’étend à n’en plus finir, on l’émince, on le tanne, le raffistole, l'effiloche, le rogne et on dissimule les rognures hideuses à l’aide des mots dorés. Il faut toujours enjoliver et curer les lieux et armes du crime. Mais point de scène de crime parfaite. Vu d’ici, vu d’en haut, vu d’en bas la terre est toujours belle, la nation, elle, toujours pareille. Les vieilles idées, les vieux réflexes, les vieux discours.
Ici dehors, nous aimons tellement notre liberté qu’on peut accepter que la « démocratie meurtrière » envoie ses sbires gazer des étudiants. Ubuesque.
Certains prétendus hommes politiques récemment convertis à l’art du dialoguons pour mieux soliloquer, s’évertuent aujourd'hui à se préparer pour les législatives : l’indécence politique la plus éhontée qui trahit bien évidemment des assises idéologiques friables.
Tristes anniversaires, tristes éphémérides
Mon frère, Une cinquantaine de jours déjà, mon frère. Ça passe lentement vite. Et dangereusement aussi. Les fêtes de fin d'année arrivent avec leur cortège d’effusion de joie, de confettis et accessoirement un peu de neige sous l'équateur pour entretenir l'illusion. Et donc bientôt ces célébrations et ma crainte grandit de te voir y séjourner pendant qu’ici
dehors on accueillera une nouvelle année. Qu' as-tu réellement dit pour que nous aussi le répétions en chœur?
Mon frère, ici dehors, il s’en est passées des choses. Par exemple, la rivalité Madrid vs Barça (Cr7 vs le nain sur tapis rouge) et OM vs PSGay (tu devines mon camp) était sur toutes nos lèvres, tous nos statuts. Tu nous connais non, nous et notre amour des choses utiles, très utiles…
Dans la pénombre qui éteint et étreint tes légitimes espoirs de liberté, laisse-moi te conter ces petits rais d’espoir qui parcourent la nation. Oui, quand nous nous préoccupons des footballeurs millionnaires, il y a ici dehors, des femmes qu’on désignerait comme nos îlots d'espérance. Il n’y a pas longtemps, mon frère, une dame aux allures de fées des temps modernes est passée à la télé et elle a laissé cette phrase banale que seule une femme pétrie d’authenticité gabonaise peut tenir. Elle a dit : « Quand on n’a pas faim, il faut savoir partager ». Un peu comme dans des contes merveilleux, la fée apparaît toujours au moment où le héros croit être dans un gouffre de désespérance. Et vêtu non pas d’un habit de lumière mais d’un habit lumineux. Et donc je dis que elle c’est féérique de l’entendre dire ça.
Et entendre dire ça ici dehors, toi là-bas dedans, il ne faut pas désespérer. Il y a des rais féériques ici dehors. Heureusement encore. Mais ce genre de parole je pense que l’Unesco les déclarera « classées au patrimoine mondiale » tellement une telle manière de vie est plus que rare par les temps qui courent, où même ceux qui ont grandi dans les lumières du luxe continuent de courir après la moindre luciole qui vole vers nous pour dissiper notre obscurité. Mais ce genre de femme on fera moins de tapage à leur égard, on les ignorera, voire on les dédaignera parce que notre essence, celle de notre être, nous l’avons confiée à Mokolémbémbé ce monstre hideux et draculéen.
Mais un jour, libre de tout mouvement, je t’invite à traîner tes pas jusqu' à Port-Gentil, au Grand Village. Imya t'accueillera les bras ouverts. Aux enfants avides de connaissance, tu leur conteras ton expérience de « l’amère saveur de la liberté ».
Non mon frère, il ne faut pas désespérer. A Port-Gentil, il y a cet évènement qui fait son chemin. Et là encore, une femme à la manœuvre. Elle, c’est un peu Paulette de Nardal. L’escale littéraire se tiendra à la fin du mois prochain avec à la clé les auteurs gabonais les plus novateurs.
Mon frère, on oublie souvent de le dire mais la liberté est un mot féminin. Pour la représenter, Eugène Delacroix choisit une femme qui jaillit en guenilles mais sa pulpeuse poitrine ostensiblement dévoilée est une déflagration de liberté libérée, c'est un éclat de lumière qui guide le gavroche à ses côtés. Les français ont offert la statut qui trône sur « le monde libre » ainsi qu’ils l’appellent. Là encore une femme.
Et donc ces femmes créent, élargissent les espaces de liberté. Une bibliothèque, un événement littéraire. Le livre comme espace, comme enjeu de liberté. Je ne sais pas s’il vous est possible de lire en prison mais il faut savoir que contrairement à ce qu’on raconte ici sous les tropiques, la littérature c’est la vie. 95.000.000 de dollars c’est ce que peut gagner l’auteur de Harry Potter. À côté de cette femme (tiens tiens encore une) le CR7 est 2e. Mais ce n’est pas pour cet argent qu’on parlera longtemps de cette femme. Mais bien plus pour avoir élargi l’imaginaire d’une époque accablée par les obscurantistes patentés tels que ceux qui t’ont embrigadé.
Ces femmes chez nous ne sont pas célèbres ni millionnaires mais tu vois que produire du rêve comme leur consœur britannique, là même où prospèrent les cauchemars, voilà leur mérite.
Mon frère, la Nation s’affaisse derrière chaque rêve qui s'étiole, aucun pays n’a d’avenir si son imaginaire est mort-né, aucun peuple ne peut s’édifier quand son imaginaire est jeté aux déserts les plus arides, non, aucun devenir-homme n’est possible quand notre créativité est un chandail sottement appelé « tee-SHORT », avec l'accent qui sied à une nymphette sous substance douteuse voire illicite : comment s'enlaidit-elle sinon en se parant de cette trivialité en semblant de popularité ?
Mon frère, aucun devenir-homme n’est possible quand nos parangons de démocratie disent BDP le matin ensuite dialogue la nuit. L’absence constante de culture crée constamment l'inconsistance des citoyens. Les idéologies éclopées, les folles trajectoires sur un échiquier politique à la déclivité avérée, les idées girouettes et les postures caduques : bilan de cette trop longue absence de culture.
Mais mon frère, ne désespère pas. Nous irons, une fois libres, en pensées, en paroles et en actes, nous irons ériger notre monument lyrique pour ces femmes qui se font bêcheuses de leur race, bêcheuse de leur condition, ces femmes dont l'échine n’est pas alitée aux alentours de l’ anormal, ces femmes au chevet des consciences à délivrer du destin caverneux qu’on leur construit…
Tristes anniversaires mon frère, triste éphéméride.
Tropique de la violence ou chronique de la dérive douce? Béranger rime avec Hervé, Mboulou Beka avec Mombo Kinga. Tant de jours à l’ombre et déjà ces nuits ne sont plus notre propriété. Que nous restera-t-il? La tentation est grande de désespérer. Mais comme disait le poète « warissanu ba ngébi ».
Le Presque Grand Boong